Géraldine de Moulins (Chargée de projets Innovation, Vie associative et Institut) : Pouvez-vous nous présenter la délégation interministérielle à l’innovation en santé, son rôle et ses missions ?

M. Fagon : La délégation à l’innovation en santé a été créée par la Ministre (Marisol Touraine) il y a deux ans. L’objectif était globalement de déterminer comment élaborer, et selon quelles modalités, une politique de l’innovation en santé afin d’en faciliter l’accès et de simplifier un certain nombre de process.
Par ailleurs, il est important de comprendre que cette délégation a pour vocation à s’intéresser à toutes les innovations. En effet, plus les innovations se développent, plus celles-ci sont complexes et comprennent des composantes diverses. Il est dès lors nécessaire de mettre en place un système plus efficace que celui qui existait jusqu’à présent. Aujourd’hui les innovations touchent des domaines aussi variés que le médicament, les dispositifs médicaux, le numérique, l’organisationnel, la prévention, et à peu près tous les champs du médico-social.

Géraldine de Moulins : En quoi l’innovation en santé vous semble-t-elle être un moteur essentiel de la santé, un levier d’avenir ?

M. Fagon : Les innovations ne sont pas nouvelles mais sont très à la mode depuis maintenant un an, il n’existe pas un journal sans que celui-ci ne parle d’innovations de tout type. Il faut donc adapter notre système aux nouveaux types et nouvelles combinaisons d’innovations. Le système devra pouvoir répondre à un certain nombre de questions et problématiques identifiées par le ministère de la santé : déterminer les innovations apportant un bénéfice pour les malades, la population, notre système de santé et son économie générale; valoriser les quelques réelles innovations de transformation de notre système. C’est un montage en ce sens qui doit être mis en place pour être le plus efficace possible.

Géraldine de Moulins : Pour effectuer cette distinction, une évaluation serait alors utile, comment voyez-vous l’évaluation des innovations ?

M. Fagon : Le problème de l’évaluation est un problème clé du système. Aujourd’hui nous avons mis en place des outils d’évaluation pour les médicaments, les dispositifs médicaux et certains actes précis. En revanche, nous sommes démunis concernant l’évaluation d’innovations organisationnelles, du numérique, et, à plus forte raison concernant des combinaisons de plusieurs types d’innovations.  Mettre en place des systèmes d’évaluation est donc une mission prioritaire de la délégation. Il faut en créer de nouvelles pour celles qui n’existent pas en s’inspirant de modèles d’évaluation aussi efficaces que celui qui existe aujourd’hui à la commission de transparence par exemple. Il est nécessaire  d’utiliser des méthodes plus souples, efficaces, et rapides.

Géraldine de Moulins : L’évaluation dont vous parlez est-elle une évaluation en terme économique, de couts / bénéfices ?

M. Fagon : Il ne faut pas se contenter d’une évaluation purement scientifique, l’évaluation doit être multidimensionnelle car il faut pouvoir mesurer les impacts de l’innovation, quel que soit le type d’innovation. Cela est un montage donc plus lourd et compliqué mais pour développer de façon cohérente l’innovation en santé, il faut une évaluation multidimensionnelle.

L’évaluation, tout en restant multidimensionnelle, peut être adaptée selon les types d’innovation.  Certaines innovations organisationnelles pourraient faire l’objet d’une évaluation au niveau régional si elle s’avère utile et suffisante. Si l’innovation semble intéressante et diffusable sur le plan national, des outils de diffusion de l’innovation au niveau national pourront être mis en place.

Géraldine de Moulins : Au sein de la délégation à l’innovation en santé a été créé un « pôle analyse et orientation des projets innovants » (PAOPI), quel est son objectif et ses missions ?

M. Fagon : Il s’agit tout simplement d’un guichet, ouvert depuis un peu plus d’un an, dont le principe est d’accueillir tous les porteurs de projets innovants. Nous avons reçu environ 150 porteurs projets, ce qui nous a beaucoup aidés à mener une réflexion sur l’innovation de manière générale. Nous avons aussi pu aider un certain nombre de porteurs de projets innovants afin de les guider dans le développement de leur innovation.  Ce système fonctionne et nous a permis de voir les grandes thématiques dont l’innovation fait l’objet, de réfléchir autour de l’évaluation, du contexte financier mais aussi de pouvoir dire que certains projets ne fonctionnent pas ou nécessitent d’être profondément modifiés.

Géraldine de Moulins : Qu’est-ce que les porteurs de projet attendent de vous en venant vous voir ?

M. Fagon : Initialement, je pensais qu’ils nous solliciteraient pour nous demander des financements. Finalement, l’entretien permet de trouver, ensemble, la meilleure solution possible pour développer le projet. Ils attendent d’être capables de frapper à la bonne porte pour trouver les bonnes informations.

Géraldine de Moulins : Depuis la création de la délégation à l’innovation, vous avez analysé de nombreux projets innovants, pensez-vous qu’il existe des invariants favorisant l’innovation ? Des essentiels de l’innovation ?

M. Fagon : Dans certains secteurs, rien n’est établi et il me parait difficile de faire émerger des positions communes puisque par définition l’innovation est extrêmement hétérogène. Au fil du temps, un système va émerger autour de domaines prééminents tels que le  numérique ou l’organisationnel, avec des règles générales relatives au fonctionnement des innovations dans ces champs-là. Derrière cela nous retrouvons un socle commun : le maintien de la sécurité de la population, l’égalité d’accès aux soins, la pérennité de notre système de financement. Ce socle, nécessaire, est composé de principes qu’il ne faut pas transgresser, pour le reste il faut laisser le plus de marge de manœuvre et de liberté aux porteurs de projet.

Géraldine de Moulins : Si on considère qu’il n’existe pas de critères communs, d’invariants à l’innovation, comment faire pour diffuser une innovation qui fonctionne?

M. Fagon : Cette question ne se pose pas vraiment pour les grosses technologies mais se pose pour des projets de plus petites tailles sur un territoire donné. Notre mission est donc d’articuler une stratégie régionale, voire locale, et une stratégie nationale. Un travail sur cette articulation avec les principaux acteurs régionaux est en train d’être effectué afin de voir à la fois comment la région peut garder le fait qu’une innovation ait émergée au local et en même temps que cette création puisse se diffuser au plan national.

Géraldine de Moulins : Concrètement, est ce que vous incitez les Agences régionales de santé à se doter de cellules pour capter l’innovation ?

M. Fagon : Cela est déjà en partie fait car des référents recherche et innovation ont été désignés dans les régions. C’est une première étape significative. Les régions ont une vision très variable sur ces sujets, du fait de contraintes dans d’autres domaines  qui expliquent que les priorités diffèrent selon les régions. Il faut donc arriver à rendre cela cohérent, mais c’est une bonne chose que les régions gardent aussi leurs spécificités.

Derrière tout cela, j’essaye de développer une dynamique de co-construction, qui n’est pas encore dans notre mode de fonctionnement aujourd’hui. II faut pouvoir aider les porteurs de projet encore à un stade précoce, faciliter, travailler ensemble sur le meilleur moyen d’avancer.

Géraldine de Moulins : Enfin, quels sont pour vous les défis de l’innovation en santé pour les 5 prochaines années ?

M. Fagon : Il faut améliorer la capacité des acteurs à développer des innovations. Cela veut dire qu’il faut beaucoup modifier le système.

D’une part, aujourd’hui dans ce domaine, il y a beaucoup trop de monde (d’acteurs). D’autre part, il serait bénéfique qu’une coordination se mette en place entre ces différents acteurs pour assurer une plus grande efficacité du développement de l’innovation. Ce sont des éléments assez politiques qu’il faut arriver à faire évoluer. Le risque est de se retrouver face à des difficultés majeures dues à un afflux important de projets innovants de tous types et que les critères de base soient alors mis de côté, comme la sécurité des patients. Il faut arriver à avoir une stratégie cohérente grâce à une coordination à tous les niveaux.

Par ailleurs, il ne faut pas bloquer notre système de développement de l’innovation en accumulant des textes réglementaires, il faut au contraire, rester sur un socle extrêmement rigoureux et l’appliquer, tout en facilitant et en aidant le plus possible les porteurs de projets. Les innovations se développent à une cadence rapide, il faut donc intégrer cela dans les meilleures conditions possibles.


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